Rencontres de Vendémiaire

La science contestée

Ces rencontres sont organisées par la Convention vie et nature pour une écologie radicale, le Groupement international d'études transdisciplinaires et l'association OGM : dangers.

Mercredi 9 octobre 2002

Intervenants : Christophe Bonneuil (CB), Armand Farrachi (AF).

Modérateur : Hervé Le Meur (HLM).

Rédacteur du compte rendu : Nicole Thiers

Introduction

par Hervé Le Meur

Souvent, les débats autour de la science en arrivent à la conclusion que la science n'est " ni bonne ni mauvaise " - conclusion dont l'origine tient peut-être à un déficit de définition quant aux termes employés. Lors de ces trois journées, nous nous efforcerons donc de poser la question en d'autres termes : les aspects négatifs de la science représentent-ils des dérives - auquel cas, il doit exister un garde-fou - ou y sont-ils intrinsèques ? - dans ce cas-là, il n'y en a pas ?

Un exemple : ce sont les recherches de Fritz Haber (1868-1934, Prix Nobel de chimie en 1918) qui ont permis l'invention du gaz moutarde (ypérite) et du zyklon B ; quand on sait que Fritz Haber était juif...

Peut-être l'historien qu'est Christophe Bonneuil va-t-il nous aider à comprendre s'il y a une dynamique historique de la science et nous permettre d'y voir plus clair sur là où on en est et là où on va.

Christophe Bonneuil est chercheur en histoire des sciences au CNRS, et un des animateurs de la Fondation Sciences Citoyennes.

Armand Farrachi est auteur de plusieurs ouvrages comme Les Ennemis de la Terre (Exils) ou Les Poules préfèrent les cages (Albin Michel). Militant associatif pour la protection de la nature et de la faune sauvage, il est co-fondateur de la Convention Vie et Nature pour une Ecologie Radicale.

Interventions

Christophe Bonneuil Cliquez ici pour le compte rendu de son intervention

Armand Farrachi :  La science comme idéologie (cliquez ici pour le compte rendu)

Discussion

Avertissement :la qualité de l'enregistrement n'a pas permis de retranscrire l'intégralité des interventions de la salle. Par ailleurs, lors de la discussion, sont intervenues des personnes, présentes parmi le public, qui n'ont pas décliné leur identité ; nous les désignerons indifféremment par la lettre X.

HLM : Une critique des interventions précédentes pourrait concerner un manque de définition du mot même de " science ". Doit-on comme AF remonter au XVIIIème siècle ? Aujourd'hui, on a une institution Recherche, ce qui cache mal le fait qu'elle est commandée par l'État et financée en partie par des pouvoirs économiques et que les deux s'appuient l'un sur l'autre.

AF : Il est des termes extrêmement compliqués, tels que " nature ", " science ", " liberté ", que je me refuse à définir. Les philosophes s'y emploient depuis des siècles... Ce qui m'intéresse se définirait plutôt comme " recherche du savoir, raisonnement sur les grandeurs ".

X : Comment séparer le besoin de savoir de la technoscience ? Il est parfois difficile de séparer les deux ; le problème est devenu abstrait depuis que la découverte de la fission de l'atome a été immédiatement suivie de l'arme nucléaire.

CB : Il existe un point de vue très constructiviste sur les sciences : quels sont les savoirs légitimes à telle époque ? On voit que les normes de la scientificité évoluent sur de très courtes périodes. Par exemple, au XVIIème siècle, on avait une société absolutiste de cour. La science ne survivait que dans le patronage de la monarchie, donc les savants étaient des courtisans (en Italie, en France, en Allemagne...) qui devaient se plier aux normes culturelles de la cour ; ils avaient comme obligation de faire des expériences spectaculaires. Galilée fait cadeau de sa découverte d'un astre aux Médicis... belle symbolique de pouvoir princier. La découverte de monstres est au coeur de la science du XVIIème siècle : on s'intéresse aux phénomènes merveilleux, bizarres. Au XVIIIème siècle, l'État organise, rationalise. Apparaît une nouvelle science des forêts, on compte, on mesure ; la science mesure les régularités, prononce de grandes lois. Celui qui s'intéresse au bizarre devient hors jeu. Donc ce sont les normes sociales, culturelles qui définissent ce qu'est la science ou le savoir légitime dans telle société, à telle époque. C'est dans cette approche un peu constructiviste que j'ai envie de dire : allons-y, construisons les savoirs qui sont conformes à notre projet de société et à nos valeurs.

X : N'est-ce pas alors de la récupération plutôt que de la création ?

X : Galilée a été lâché, Giordano Bruno, lui, a été brûlé...

X : Je me réfère à un article paru dans Le Monde... Que dire de l'homme de la rue qui a le droit de faire ses expériences scientifiques ?

HLM : La notion de conscience individuelle ne suffit pas ; cf. Joliot-Curie qui écrit un article dans Nature le 10 avril 1939... La course à l'armement était déclenchée...

X : J'aurais une question pour Christophe Bonneuil. Avez-vous voulu dire qu'on aurait une bonne science avec de bons citoyens ? N'est-ce pas un peu naïf ? Comment peut-on savoir ce qu'est un bon savoir, surtout à 2 générations de distance, comment savoir ce qu'on veut chercher ?

CB : Je répondrai à votre première question sur la naïveté en disant que si, en France, il n'y avait pas eu la CRII-Rad, nous en serions encore moins loin qu'aujourd'hui en matière de transparence nucléaire. On ne peut pas tout attendre des chercheurs des institutions de recherche publiques, car ils sont pris dans des jeux institutionnels, d'où l'intérêt de structures de contre-expertise dans la société civile, qui contribuent à une pression civique sur ces institutions. Quant à votre deuxième question d'une recherche faite pour répondre à des besoins sociaux exprimés par des associations et du coup, travaillant trop sur le court terme... Je suis entièrement d'accord. Il est impossible de prendre en compte l'imprévisible. Il faut que le secteur de la recherche fondamentale continue à exister, payé par les pouvoirs publics : cela représente 1 ou 2 % des effectifs de chercheurs dans le monde, il faut le préserver, le développer, le maintenir. La science, c'est aussi découvrir des choses auxquelles on ne s'attend pas.

X : Il s'agit de voir que c'est cette " science fondamentale " qui fait l'idéologie ; c'est ça qui fait tout le poids. C'est là qu'on peut agir. Le domaine associatif est d'une impuissance totale. Notre seul rôle est de boucher les trous en espérant qu'il ne sera pas trop tard quand quelque chose de grand se produire. L'expertise, je n'en ai rien à faire. Et la contre-expertise, elle, ne joue aucun rôle majeur.

CB : L'idée est de sortir d'une idéologie qui se nourrit d'elle-même. Si les citoyens s'en mêlent, apportent la controverse dans l'espace public, on va se poser la question des valeurs et des projets, et celle d'une science indépendante.

X : Oui, mais la CRII-Rad ne s'est jamais prononcée sur le nucléaire. Pour être crédible en tant que contre-expert, elle doit paraître neutre.

HLM : La science oublie le méta-discours. Récemment, lors d'une commission de spécialistes en biologie moléculaire & biologie de l'évolution (commission chargée de donner son avis sur les recherches à financer via des allocations), a été présenté le dossier d'une personne voulant faire des recherches sur les disséminations de gènes : son sujet a été taxé de " politique " et la personne n'a pas obtenu d'allocation...

CB : C'est la question de l'horizon normatif, du système de référence utilisé pour réguler ce qu'on veut savoir et ce qu'on veut faire. Pour les scientifiques, cela peut être la connaissance, pour d'autres, les horizons politiques ou juridiques, pour d'autres les normes religieuses ou morales, pour d'autres, les références à la nature.

X : Comment choisir les critères ? Quant à l'efficacité, aux résultats ?

CB : Je crains quant à moi que dans ce que propose Armand Farrachi, la nature ne soit le modèle de référence. Qui va nous dire ce qu'est la nature, sinon des hommes qui vont l'étudier ? à qui va-t-on faire confiance pour nous dire ce qu'est la nature et comment la protéger ? Au bon sens ? à des scientifiques ? (dans ce cas, la question est bien : "comment notre société peut-elle choisir les approches scientifiques à privilégier en fonction de ses choix démocratiques ?")

AF : On peut peut-être définir la nature de façon très simple : ce qui n'a pas été transformé par l'homme. C'est le seul moyen de la sauver. Et je crois que nous avons besoin de la science.

X : Mais il n'y a plus de nature en France ni nulle part...

X : Il y a aussi la question de la démographie. Comment respecter la nature quand on sera 12 milliards ? La relation science-démographie détermine les rapports science-société...

HLM propose de lever la séance.

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