Extraits de l'article de P. Courvalin

Dans le numéro 309 de La Recherche mai 1998, le professeur Patrice Courvalin (Institut Pasteur, responsable du Centre National de référence sur les mécanismes de résistance aux antibiotiques) écrivait des choses très intéressantes. Nous avons déjà dit que les risques alimentaires ne sont peut-être pas les plus importants, mais même tout ce qu'il mentionne et qui a été négligé mérite attention. Cela montre que les "autorités" de régulation (CGB, Etat, recherche publique, ...) ont sciemment négligé des choses .. pour ne pas arrêter les OGM. Nous ne savons pas quelle était leur motivation (l'argent serait une explication trop simple). Nous laissons l'internaute juger !

 «Le gène bla TEM-1 est très utilisé dans la modification génétique des plantes comme le maïs de Novartis récemment autorisé, et en biologie moléculaire en général. Il commande la production d'une pénicillinase capable de dégrader très efficacement les pénicillines (Pénicillines G, ampicilline, amoxycilline, etc.). Il confère donc la résistance à l'une des classes d'antibiotiques les plus utilisés en thérapeutique humaine. On sait que des altérations de ce gène peuvent élargir considérablement le spectre de résistance que confère l'enzyme dont il dirige la synthèse, et allonger ainsi la liste des antibiotiques rendus inefficaces. En effet, des mutations ponctuelles (c'est à dire le changement d'une paire de bases) en de nombreux sites de ce gène peuvent conférer à l'enzyme la propriété soit d'inactiver les céphalosporines les plus récentes [5], soit d'être réfractaire à l'action des inhibiteurs de pénicillinases [6].

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Le gène bla TEM-1 est répandu chez les entérobactéries [bactéries notamment du tube digestif de l'homme et des animaux] responsables notamment d'infection acquises à l'hôpital, dites nosocomiales (...) Il est en revanche inexact de prétendre que ce gène est présent chez "50 % des bactéries pathogènes du tube digestif" [3]. Sa prévalence chez le bactéries pathogènes responsables de diarrhée (salmonelles, shigelles, Escherichia Coli producteurs de virulence et Vibrio cholerae) varie selon les espèces mais ne dépasse guère quelques pour-cent. De plus, la production de pénicillinases n'a pas encore été détectée en Europe chez l'entérocoque, bactérie intestinale pathogène pour le sujets immunodéprimés, et que l'on isole de plus en plus fréquemment en pathologie humaine, alors que de telles souches ont été déjà décrites en Amérique du Nord et du Sud. Le gène bla TEM-1 n'est donc ni anodin ni ubiquiste chez les bactéries pathogènes pour l'homme.

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Si l'existence d'un flux de gènes des cocci à Gram positif vers les bacilles à Gram négatif [10] et l'existence d'un système de transfert génétique des bactéries vers les plantes [11] dans les conditions naturelles sont connues depuis maintenant quinze ans, la démonstration au laboratoire d'un transfert d'ADN des bacilles à Gram négatif aux cocci à Gram positif [10], des bactéries aux champignons [12] ou aux cellules de mammifères, y compris humaines [13], est beaucoup plus récente.

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Il est inéluctable, contrairement à ce qui a été prétendu [3], que la culture intensive d'une plante hébergeant un gène de résistance, aboutissant à l'augmentation du nombre de copies de ce gène dans la nature, favorise son évolution et sa dissémination.

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Le retour d'un gène de résistance aux antibiotiques d'une plante génétiquement modifiée vers des bactéries pourrait se produire dans deux types de circonstances. La premières serait un transfert dans le tube digestif des animaux ou de l'homme aux bactéries commensales du tube digestif. La stabilité thermique de l'ADN est telle que, dans un certain nombre de cas, les gènes de résistance ne seront pas dénaturés par la préparation que subissent les aliments avant ingestion.

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l'utilisation massive des antibiotiques comme promoteurs de croissance dans l'alimentation animale crée les conditions les plus favorables à la sélection du transfert puis à la dissémination de la résistance [Ce passage reprend ce que nous disons nous-même que le gène de résistance aux antibiotiques pose probablement moins de problème, bien qu'il en pose, que l'utilisation des antibiotiques dans l'alimentation animale]. Des travaux récents à propos de l'utilisation d'antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale ont démontréla possibilité de colonisation du tube digestif de l'homme par les bactéries d'origine animale et la possibilité de transfert de gènes de résistance aux antibiotiques de ces micro-organismes aux bactéries commensales de l'homme. Comme le maïs transgénique est principalement destiné à l'alimentation animale, la conjonction de l'utilisation des antibiotiques dans l'alimentation animale et des OGM ne peut qu'accroître le risque de dissémination.

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La deuxième circonstance possible de retour des gènes est le passage aux bactéries du sol d'ADN de plantes transgéniques en décomposition, et notamment de leurs racines. Cette éventualité est favorisée par le fait que l'ADN, contrairement aux idées reçues et véhiculées encore récemment [4], est un molécule extrêmement stable dans les sols et que certaines espèces bactériennes telluriques peuvent spontanément et efficacement incorporer de l'ADN [19].

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Quand bien même l'efficacité de transfert horizontal de gènes des plantes aux bactéries est, très vraisemblablement, sans commune mesure avec celle des systèmes d'échanges génétiques développés par les bactéries, il reste à s'interroger.

Est-il opportun de laisser subsister dans les plantes transgéniques des gènes qui leur sont inutiles et qui confèrent la résistance à des familles majeures d'antibiotiques qui connaissent un regain d'indications ? De laisser des gènes qui font partie de constructions génétiques bâclées qui accumulent les structures favorables à un retour éventuel vers les bactéries ? Et ce, alors même que l'on dispose de techniques autorisant des constructions "génétiquement correctes", parfaitement définies et faisant l'économie de ces gènes de résistance ? »

Références :

[3] A.Kahn, Pourquoi tant de haine contre ce pauvre maïs ? Le Monde, 9 décembre 1997
[4] P. Berche, Résistance aux antibiotiques: l'impact des plantes transgéniques paraît anecdotique Le Quotidien du médecin, 18 février 1998
[5]W. Sougakoff et al., Rev. Infect. Dis., 10, 879, 1988.
[6] G. Vedel et al., J. Antimicrob. Chemother, 30, 449, 1992.
[10] P. Courvalin, Antimicrob. Agents Chemother, 38, 1447, 1994
[11] V. Buchanan-Wollaston et al. Nature, 328, 170, 1987
[12] J.A. Heineman et G.F. Sprague Jr., Nature, 340, 205, 1989
[13] P. Courvalin et al. C.R. Acad. Sci. Ser. III 318, 1207, 1995
[14] L.A. Katz, J. Mol. Evol. 39, 631, 1994
[19] J. Sihorski et al. Microbiology, 1444, 569, 1998

 

>>> entrée du répertoire sur les Enjeux alimentaires des OGM