Existe-t-il un gène de la monogamie ?

Cette question sera discutée ici en cinq actes et on conclura par une mise en perspective historique de la recherche scientifique en général.

Acte 1. On peut trouver sur le site de l'université d'Emory plusieurs pages qui rythment les dernières avancées du Professeur Tom Insel et de son équipe. On y apprend que ces chercheurs travaillent sur les " attachements sociaux " [1] et que " l'attachement social est peut-être plus du à la biologie qu'à l'âme [soulful] ". Les chercheurs ont déjà constaté que deux substances (OT et AVP) sont associées à des comportements sociaux (s'occuper des petits, sens du territoire, agressivité, ...) pour des souris. Ces mêmes substances modifient le comportement maternel chez d'autres mammifères et l'université, elle-même, affirme que le but de ce " modèle " de l'humain est d'étudier la monogamie ... ! Dès 1998, L. Young, un collègue de T. Insel, envisageait de " créer " (!) une souris transgénique " plus gentille, douce " en lui insérant le gène du récepteur d'AVP issu d'une espèce connue pour être monogame, ce qu'il a fait en 1999. L'université explique que " ces souris transgéniques ... réagissaient à l'AVP en augmentant le contact social [!] avec une femelle, une réponse absente chez une souris normale ". L'université titrait donc qu'Insel et Young avaient découvert le " gène de la sociabilité ".

Acte 2. Un article paru dans Vogue [2] titrait " Le campagnol et les hommes adultères ". Après la description (fidèle !) des expériences et la caution d'un chercheur de l'INSERM, le journaliste pose la question " La technique, très prometteuse, de transgénèse pourrait-elle, un jour, transformer l'homme en mari fidèle ? ".

Acte 3. On peut dire qu'il existe un consensus (que nous allons discuter) pour critiquer l'interprétation par Vogue de ces résultats scientifiques. Les scientifiques (qui veulent une science citoyenne comme d'autres veulent des entreprises citoyennes), les intellectuels et les progressistes de tout bord avancent trois arguments. Le premier est que la monogamie ne peut être gérée par un seul gène. Le second est que la fidélité est un concept social, psychologique et culturel et donc non réductible à la chimie, à la génétique. Ces deux arguments se regroupent sous la bannière assez vague du refus du "tout-génétique". Le troisième argument objecte que le service de communication de l'université a du déformer les résultats des chercheurs, incompris ou trahis, qui sont forcément plus mesurés.

Acte 4. Les deux premiers arguments peuvent être écartés car, sur cet exemple précis de la monogamie, il a bien suffi d'un seul gène pour modifier le comportement de façon sensible et quantifiable chez des souris. Comme l'humain aussi est sensible à l'AVP, la question de l'humain est scientifiquement posée.

De plus, le premier argument est dangereux car même si un trait de caractère peut être contrôlé par cent, mille gènes ou même leurs interactions, la question est la même. Il ne fait que repousser la date où la Science aura réduit la Vie à «  un ensemble de réactions chimiques » [3] et où nous serons sommés de dire si nous acceptons que des humains infidèles soient "soignés" grâce à la Science triomphante.

Le second argument, presque mystique, suppose que la psychologie, le social, ne sont pas influençables par un changement mécaniste. C'est oublier que l'on tenait les mêmes propos de salon avant les psychotropes. Puis H. Laborit a montré que l'on peut modifier des états de conscience par la chimie [4]. Devra-t-on attendre que "la Science" (ce ne sera pas une entreprise qui le fera car elle n'y aurait pas d'intérêt) fasse un humain OGM pour poser la question de ces recherches ?

T. Insel semble appuyer le troisième argument quand il mettait en garde en 1998 que « bien plus de recherches sera nécessaire ». Mais concrètement, il cherche actuellement les mêmes gènes chez les primates pour faire des expériences sur eux. En attendant mieux

Acte 5. On pourrait reprocher à cette thèse de faire du catastrophisme en accusant la recherche (publique et sans financement privé) de vouloir faire des humains manipulés, alors que le pauvre professeur Insel travaille pour le Progrès, a été trahi par Vogue et même par les communicateurs de son université. Hélas le dernier article issu de ces recherches, financées par l'Institut de Santé Mentale (!) américain, dans un centre de recherche en neurosciences du comportement (!), a pour titre « les mécanismes cellulaires de l'attachement social »[5] et son résumé (rédigé par les chercheurs) utilise sept fois des synonymes de monogamie

Il n'est donc pas possible de soutenir que ces chercheurs sont incompris ou trahis.

On pourrait finalement soutenir que ces recherches ne prêtent pas à conséquence car elles ne pourront pas réduire tous les attachements sociaux à la génétique. C'est la position de ceux (scientifiques comme activistes !) qui refusent le "tout-génétique" (Atlan, ... ). Il faudrait qu'ils expliquent pourquoi, si la monogamie peut être modifiée par la génétique, d'autres attachement sociaux ne pourraient pas l'être, fût-ce par mille gènes et leurs interactions. Quel saut radical sépare ces attachements de la monogamie si ce n'est une distinction ontologique qui ne résistera pas à la Science et au Progrès ? De plus, c'est faire peu de cas de tous les comportements humains que l'on abandonne à la Science.

S'il est évident qu'il y aura toujours une fonction qui ne sera pas (encore) réduite à la génétique, il est aussi vrai qu'il n'y a rien qui ne suscitera pas, un jour ou l'autre, sa volonté de comprendre, de modifier, de contrôler. Cela ne dit pas que l'humain est une machine mais que certains aspects de son comportement peuvent être vus sous cet angle. Il existe bien sûr d'autres façons de le voir (ou d'obtenir la fidélité !), mais cette vision mécaniste, parce qu'elle est opératoire, répond au fantasme mécaniste d'une société industrielle. C'est donc un peu une prophétie auto-réalisée. Plus généralement, la Technique fait voir le réel non comme il est, mais comme on le voudrait. Elle assujettit le réel, la Vie, et ce sont bien les questions que pose la recherche scientifique.

Ces recherches, si elles étaient séparables du monde, ne seraient ni bonnes ni mauvaises. Mais l'humain étant ce qu'il est, elles révèlent (ou suscitent) le fantasme d'un pouvoir sur autrui et contribuent à diminuer notre liberté. Cela prouve qu'il est stupide de supposer ces recherches (et plus généralement la recherche) séparée du monde. La recherche (privée ou publique) n'est intrinsèquement ni bonne ni mauvaise. Mais de toute façon, elle n'existe pas intrinsèquement car elle est toujours emmêlée au monde. Il est facile, ensuite, de reconnaître que " la Science a commis le péché ", mais c'est refuser de voir que la recherche, telle qu'elle est organisée dans les sociétés industrielles, s'est toujours mise au service d'une ersatzification du monde. Après avoir réduit la matière, elle en arrive à réduire le vivant.

Hervé LegMeur

Références :

[1] Les sources universitaires sont trouvables à partir de http://search.service.emory.edu/. Il suffit alors de demander AVP et Insel comme mot clés.

[2] Vogue Paris février 2001 n° 814

[3] L.M. Houdebine (INRA) in Génie génétique : de l'animal à l'homme ?

[4] Cf. par exemple H. Laborit Bases biologiques des comportements sociaux Fides 1994 !

[5]Young et al. Horm. Behav. 2001 Sep ;40(2) :133-138

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