Intervention de Armand Farrachi lors de la conférence-débat du 7 avril 2006
La science est-elle chosifiante ?
Le cas des animaux transgéniques.
Mon propos concerne les manipulations génétiques sur les animaux.
Je milite dans une association de protection de la nature qui s'occupe en particulier
de faune sauvage (la Convention Vie et Nature CVN). Défendre les
animaux sauvages, c'est défendre la nature entière comprise comme
un système de milieux, d'écosystèmes. Je m'occupe plutôt
d'animaux sauvages, mais manipuler des animaux c'est manipuler la vie. Je crois
aussi que tout ce qu'on fait aux plantes on peut le faire aux animaux et que
tout ce qu'on fait aux animaux on peut le faire à un homme. C'est ce
qu'avaient très bien compris les pionniers du nouveau monde lorsqu'ils
mettaient le feu à la prairie. Qui brûle l'herbe affame les bisons,
qui détruit les bisons affame les Indiens ou les rend dépendants
dans des réserves. Ce que voulaient les pionniers, c'était non
de l'herbe mais du blé, non des bisons mais des vaches, non des Indiens,
mais eux-mêmes. Les pionniers du Nouveau monde actuel, celui de demain,
ont commencé de s'attaquer aux plantes. Ils s'attaquent maintenant aux
animaux, ils s'occuperont demain des hommes.
La question n'est pas seulement de savoir si on peut modifier la nature, rendre
les carottes plus grosses, les fraises plus sucrées, faire du loup un
chien, mais si on peut modifier la vie en créant des formes qui n'existent
pas, comme des oiseaux sans plumes avec des dents ou des cochons géants
aveugles avec six pattes. A-t-on le droit moral de manipuler le vivant ?
I) DEUX PRÉALABLES
Avant tout, il y a deux mensonges dont il faut tout de suite se débarrasser.
- On ne peut pas dire que les manipulations génétiques n'ont qu'un intérêt purement scientifique pour la seule connaissance théorique du vivant, car il n'y a aucune connaissance qui ne donne lieu à une application pratique, y compris la pire. Aucune loi, aucun comité d'éthique n'empêchera jamais que les pires conséquences soient tôt ou tard réalisées, légalement ou non. Et je pense, comme Bacon que tout ce qui peut être fait sera fait. C'est le syndrome du Pont de la rivière Kwai : les savants qui font valoir l'intérêt scientifique de leur recherche oublient de la situer dans un cadre économique et social. [Après, il se refusent à détruire ce qu'ils ont fait (le pont) même si ils voient le danger que leur réalisation (le pont) fait courir aux leurs vu l'énergie qu'ils y ont mise. Cet attachement à leur réalisation les aveugle.]
- J'ai plusieurs fois entendu dire par divers hommes politiques que le clonage permettra de sauver les espèces menacées. C'est un mensonge encore plus gros que de dire que les OGM résoudront le problème de la faim du monde. Pour sauver les espèces menacées, il faut un milieu pour les accueillir, des parents pour les élever, et qu'on leur foute la paix. Rien d'autre. Si c'est pour les mettre dans des cages, l'intérêt de l'opération est nul. Autres : thycaline, mammouths, syndrome Jurassic Park.
II) LE POSSIBLE
Le clonage des animaux domestiques présente évidemment un intérêt plus immédiat pour les chercheurs et ceux qui les emploient. Voici quelques exemples d'expériences déjà réalisées :
- des poules qui ont des pattes à la place des ailes ;
- des moutons à tête de chèvre ;
- des coqs qui poussent le cri de la caille ;
- une mouche avec des yeux sur les pattes ;
- une chèvre avec un gène humain pour produire une hormone de croissance ;
- une chèvre avec un gène d'araignée pour produire des gilets pare-balles ;
- des porcs avec un gène humain pour les transplantations d'organes ;
- des cochons géants qui produisent moins de déjections ;
- des saumons transgéniques qui grossissent six fois plus vite et dont un seul pourrait faire disparaître toute l'espèce ;
- des poissons, des lapins ou des porcs phosphorescents.
Beaucoup de projets sont à l'étude, comme de faire en sorte que
les oies perdent l'instinct de couver leurs oeufs. Ainsi les oeufs pourraient
éclore en couveuse et les oies seraient plus longtemps productives.
En voici d'autres : En Italie, Brunetto Chiarelli : « Nous pourrions produire
des êtres sous humains à qui l'on confierait des travaux répétitifs
et peu valorisants. Je comprends que la présence dans des anthropoides
de gènes humains puisse heurter la morale commune. Il serait en revanche
éthiquement irreprochable d'utiliser ces êtres comme réservoirs
d'organes destinés à la transplantation. »
En Angleterre, Jonathan Slack travaille à des êtres sans cerveau
ni système nerveux qu'on peut reprogrammer génétiquement
de façon à supprimer la croissance de toutes les parties du corps
à l'exception des pièces que vous voulez.
Aux Etats Unis, Richard Seed, après avoir greffé des têtes
aux singes, veut greffer du silicium sur l'organique pour réduire les
intermédiaires entre l'ordinateur et l'homme. L'Americain Craig Venter
veut breveter « une biodiversité artificielle qui offrira des chemins
que la nature ne lui a pas ouverts. »
J'arrête. Nous sommes entrés dans une ère de production
de monstres, par des savants fous qui font de la Terre l'île du Dr Moreau.
C'est le syndrome du Pont de la rivière Kwai. Quelles conséquences
en tirer ?
III CONSEQUENCES
- Le pouvoir technoscientifique, qui est aussi un pouvoir politique est en train de remplacer le naturel par du fabriqué. Les distinctions fondamentales existaient entre le vivant et le non vivant, le naturel et l'artificiel, ce qui pousse et ce qui est fabriqué. Ces distinctions tombent. Il s'agit de confondre l'organique et le mécanique et ainsi de transformer le réel à sa source. Vous serez attentifs à tout ce qui, dans notre vie quotidienne, confond l'organique et le mécanique. Par exemple le langage parle de pièces détachées pour les organes humains, le foie, un rein, et d'organes pour une voiture (les freins, la direction...). La publicité nous montre des automobiles avec des colonnes vertébrales. Les Japonais ont inventé des animaux domestiques électroniques, comme le tamagochi ou des robots en forme de chien. Les textes officiels ne parlent même pas de vivant mais de « matière biologique ».
- La nature complètement instrumentalisée est considérée du seul point de vue de l'intérêt humain. L'intérêt humain est devenu purement commercial, même quand il se donne des airs médicaux. Or, l'animal humain n'étant qu'une espèce parmi les autres, une vision aussi étriquée du monde ne peut conduire qu'à des catastrophes. C'est un utilitarisme de l'égoïsme qui conduit à l'artificialisation du monde. Lorsque le réel est falsifié, nous sommes dans l'ère du mensonge et il n'y a plus de critères que ceux fixés par les maîtres. Plus d'objectivité.
- le fantasme politique de contrôle et de domination totale est en cours
de réalisation. Il s'agit de contrôler jusqu'au gène,
jusqu'à l'atome.
Il s'agit d'un totalitarisme absolu, qui consite à tout dominer, à tout maîtriser, même ce qui ne l'était pas, et à ôter tout choix. La domination de l'homme passe maintenant comme depuis longtemps par la domination de l'homme au moyen de la domination de la nature. J'ai déjà parlé de l'herbe, des bisons et des Indiens. Un pré répond aux lois de la nature (saison, intempéries, etc?), le même transformé en parking ne répond plus qu'à des lois arbitraires (prix, durée, etc.)
Le clonage nous fait pénétrer très avant dans le biopolitique.
CONCLUSION
Nos dirigeants veulent de l'artificiel productif à la place du naturel
gratuit, des hommes dociles à la place d'hommes indépendants.
Je tiens évidemment les manipulations génétiques sur les
animaux, même domestiques, pour une entreprise de destruction, de dépossession
de la nature. La manipulation génétique c'est la destruction radicale,
définitive et totalitaire de la nature et donc de l'indépendance
des hommes. Car il est illusoire de croire qu'il pourrait y avoir quoi que ce
soit de démocratique sur une plaque de béton sans arbres et sans
oiseaux où ne pousseraient que des plantes brevetées et où
erreraient des animaux imaginaires qui ne correspondent à aucun milieu.
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