OGM : une victoire historique
G. Kastler et H. Le Meur

On croit souvent que le sujet des OGM est simple, avec des multinationales américaines qui manipulent les gènes des plantes et des animaux face à une population qui ne leur accorde aucune confiance et à quelques opposants radicaux.

Pourtant, les multinationales sont aussi européennes, notamment quand Bayer absorbe Monsanto, et bénéficient de la collaboration de nombreux chercheurs publics sans que cela ne change quoi que ce soit à l’opposition aux OGM ! En tout cas, tous tentent de cacher leurs OGM avec le soutien actif de nombreux gouvernements.

Comment fait-on un OGM?

Il faut savoir d’abord que des plantes ont été massivement exposées à de l’irradiation dès les années 1960. On parle parfois d’ionisation, mais cet euphémisme ne convient pas puisque les doses d’irradiation sont environ 10 millions de fois plus grandes que celles de l’irradiation naturelle en Bretagne (due à l’argon présent dans le granit). L’objection que la mutagenèse par irradiation serait semblable à l'irradiation naturelle est donc un mensonge car elle n’est pas du même ordre de grandeur. D’autres plantes ont été exposées à des agents mutagènes chimiques, la plupart très toxiques, lors de leur reproduction ou de leur croissance. Environ 90% de ces plantes en meurent. Parmi celles qui survivent, les sélectionneurs gardent celles qui tolèrent un herbicide ou expriment un nouveau trait agronomique intéressant. En l’absence d’évaluation, cette mutagenèse qualifiée de «conventionnelle» est associée à un tri sur la base du seul phénotype (ce qui apparaît de la plante) qui néglige les nombreuses modifications non visibles.

En adoptant en 1990 et 2001 les directives 90/220 puis 2001/18, l’Europe a d’abord défini les OGM comme des «organismes génétiquement modifiés d’une manière qui ne se produit pasnaturellement par multiplication ou recombinaison naturelle». Elle a ensuite distingué deux catégories juridiques d’OGM : les premiers soumis à la réglementation définie par ses directives (évaluation, étiquetage, surveillance), et les seconds exonérés de cette réglementation parce qu’obtenus par des « techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps».(1) La première catégorie recouvre notamment les plantes transgéniques, mais pas qu’elles, comme l’a confirmé l’arrêt du 25 juillet dernier. La seconde recouvre les plantes obtenues par mutagenèse et la fusion cellulaire entre organismes d’une même famille.

L’histoire s’est ensuite compliquée lorsque l’industrie a tenté d’échapper à l’application des directives OGM en qualifiant de « mutagenèse traditionnelle » ses nouvelles techniques de modification génétique qui, comme la transgenèse, consistent à bricoler les gènes de cellules isolées et multipliées in vitro dans des laboratoires. Pour rajouter encore de la confusion, elle a qualifié ses nouvelles techniques de modifications génétiques comme CRISPR, TALEN de simples techniques de sélection!

Un recours contre l’État français

En 2015, un syndicat paysan et huit associations (2) ont introduit un recours devant le Conseil d’État pour obtenir une interdiction de la culture des Variétés rendues Tolérantes aux Herbicides (VrTH). Leur argument principal est que ces plantes sont des OGM obtenus par diverses techniques de mutagenèse et qu’elles posent les mêmes problèmes que les OGM transgéniques rendus tolérants à divers herbicides. Le Conseil d’État a considéré que ces questions relèvent du droit européen et les a donc soumises à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Puis un recours devant la CJUE

La Cour a d’abord confirmé que les plantes obtenues par mutagenèse « conventionnelle » sont des OGM. Elle a ensuite indiqué que si elles sont exemptées de l’application de la directive européenne, elles peuvent par contre être réglementées par les États. Cependant, l’Europe étant un marché unique, les États ne peuvent réguler que leur culture et non leur commercialisation qui reste soumise à la liberté de circulation des biens et des marchandises...

La Cour a ensuite énoncé que les OGM obtenus par les nouvelles techniques de mutagenèse ne peuvent pas être exonérés de l’application de la directive. Les nouveaux OGM ne pourront pas se cacher derrière une absence de réglementation pour envahir nos champs et nos assiettes.

Une gigantesque victoire

C’est une gigantesque victoire pour les écologistes et les paysans. Elle montre que quoi qu’on dise, la justice européenne n’est pas toujours dans le camp des Puissants. C’est ainsi que les associations ont pu soutenir leur opinion contre l’avis de plusieurs États et de la Commission et qu’elles ont eu gain de cause. L’arrêt reprend une grande part de leur argumentation ! Seuls contre tous, c’est équilibré pour des «gaulois râleurs» que nous assumons d’être!

Que reste-t-il à faire?

Nous attendons la décision du Conseil d’État qui doit condamner le gouvernement français à modifier l’article 531-2 du code de l’environnement qui dit que la mutagenèse ne produit pas des OGM. C’est la première victoire confirmée par la CJUE.

De plus, le gouvernement français ne peut plus dire que l’Europe luiinterdit de réguler les VrTH qui ne seraient pas soumises à la réglementation OGM européenne. Or les arguments contre ces plantes sont les mêmes que contre les OGM rendus tolérant aux herbicides par transgénèse tous interdits de culture en Europe. Rappelons brièvement que les risques sont multiples. D’une part, ces plantes contiennent des herbicides quand elles sont données en nourriture aux humains ou aux animaux. D’autre part, elles génèrent un surcroît d’usage de ces herbicides, ce qui nuit à la vie autour des champs. Leur seul usage induit une modification des écosystèmes qui sont exposés pendant plusieurs années de suite aux mêmes herbicides. L’apparition de plantes adventices rendues tolérantes à ces herbicides par mutation au champ est inévitable. (3) Enfin, la possibilité que des graines restent dans les champs, soient disséminées lors des récoltes, sur les routes puis dans les silos, est grande. Elles peuvent aussi se croiser avec des espèces apparentées (qui sont nombreuses pour le colza). On engendre ainsi de super mauvaises herbes... et toujours plus d’herbicides pour les combattre.

Les associations travaillent à transformer cet essai tant en France qu’ailleurs en Europe. Relayer leur action est une des meilleures façons de se débarrasser des OGM et des herbicides qui nous empoisonnent. Une première étape sera le procès des faucheurs volontaires qui comparaîtront les 15 et 16 novembre prochain devant le Tribunal de Dijon pour avoir neutralisé des essais de colza OGM tolérant aux herbicides. L’avenir nous dira si les juges français prendront ou non en compte l’arrêt de la CJUE pour reconnaître la légitimité de l’action de ces lanceurs d’alerte.


Notes

(1) Considérant 17 de la directive 2001/18.

(2) Confédération paysanne, Amis de la Terre, CSCV 49, Nature et Progrès, OGM Dangers, Réseau Semences Paysannes, Vigilance OGM 33, Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M.

(3) Elle est documentée depuis les années 2000 au Canada. Hall et al.,"Pollen flow between herbicide-resistant Brassica napus is the cause of multiple-resistant B.napus volunteers", Weed Science (2000), 48 pp.688-94.

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